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La Peste A. Camus 1947

Un roman qu’on retrouve au fond  de sa  bibliothèque et qui reprend aujourd’hui toute son actualité. Un roman formidable.

Camus livre dans une écriture magistrale un récit à la fois actuel, universel, et philosophique. La peste sévit à Oran (alors ville française) en 1940,  d’abord  sous la forme de rats qui parcourent la ville et meurent de manière étrange …et Camus écrit très bien (ce que nous avons vécu) le déni, puis la prise de conscience puis la mobilisation des médecins puis les mesures sanitaires autoritaires (confinement de la ville), l’engourdissement… et l’après.

A travers ses personnages, il illustre les différents comportements et postures et en fait un débat philosophique : la lutte et la révolte contre un fléau, la place de la religion, l’injustice, la souffrance et la mort, l’exil et la séparation, l’enfermement et l’étouffement…

 Il n’y a aucun personnage arabe et quasi aucune femme sauf la mère de Rieux, effacée mais présente, assez semblable à la propre mère de Camus dans le premier homme. Rieux  le personnage principal, le narrateur, auquel on aurait envie de s’identifier, est une très belle figure : médecin, il perçoit assez vite le problème mais attend pour le révéler que ce soit entendable… ensuite il se dévoue corps et âme (cela évoque les soignants d’aujourd’hui), et surtout, il écoute, avec bienveillance et réflexion, chacun des personnages, et leurs différentes problématiques. Sa femme est partie se soigner en Europe, il ne la reverra pas. Un seul moment de détente est évoqué : dans la mer interdite avec son seul ami Tarrou qui mourra peu après.

Tarrou traumatisé dans son enfance par une expérience tragique a décidé d’être du côté des victimes. Il représente la figure de l ‘action, celui qui veut agir face à l’angoisse de la pandémie : « se battre contre l’absurde ».

Rambert, journaliste étranger, a laissé son amoureuse et  tente par tous les moyens de la rejoindre y compris avec des passe-droits et des contacts douteux … c’était «  refuser l’asservissement qui les menaçait » ce qui entraîne de grandes discussions avec Rieux sur le droit au bonheur individuel,  face au sacrifice  et au  dévouement pour le collectif. Finalement Rambert apprenant, lorsqu’il  dit à Rieux « vous vous n’avez rien à perdre », que la femme de celui-ci  est partie se soigner en France, décide de rester et d’aider Rieux.

Le père Paneloux, figure opposée à celle de Rieux,  et symbole du juste tragique et croyant, fait une première conférence très suivie : les bains de mer étant interdits beaucoup vinrent écouter le prêche du dimanche « de toute façon cela ne peut pas faire de mal ! ».  Le prêcheur accusait : « le fléau qui s’abat sur vous, vous l’avez mérité », il en profitait : « il vous élève et vous montre la voie, c’est  le moment de réfléchir », il fustigeait : « l’individualisme moderne et le détournement de ses concitoyens de l’essentiel : la religion ? » et il prônait  l’amour et la miséricorde divine. Mais un évènement révoltant, et inacceptable, décrit avec une intensité remarquable (on s’y croirait), vint remettre quelques pendules à l’heure : l’enfant du juge fut atteint de la peste, Rieux  appliquant la déontologie dut éloigner les parents. L’enfant fit l’objet de l’essai d’un vaccin et mourut dans des douleurs affreuses. « Celui-là était innocent » cria Rieux au jésuite  qui s’agenouilla : « mon Dieu sauvez cet enfant ».  Le second prêche du père Paneloux visiblement touché par ce décès  consista à reconnaître qu’il n’a rien à expliquer,  le bien et le mal, et qu’il faut tout croire ou tout  nier, dans le tout ou rien,  et plutôt tout croire pour ne pas être réduit à tout nier… L’amour de Dieu est difficile mais lui seul peut effacer  la souffrance et la mort d’un enfant, il faut en chercher le  bénéfice… difficile à entendre pour le médecin.

 Grand et Cottard sont assez mystérieux; l’un est perfectionniste ou obsessionnel, très occupé à écrire pendant des centaines de soirées … L’autre, Cottard, essaye probablement d’échapper à un jugement pour meurtre ?

La référence au nazisme, la peste brune, une maladie politique contagieuse, comme des rats était bien  l’intention de Camus, dans ce roman « La Peste … a comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme » écrit Camus le même est à cette époque, éditorialiste à Combat. On y retrouve, en effet, en Rieux et Tarrou  les grandes figures de la résistance (De Gaulle ?),  en Cottard peut être le collabo, et avec Rambert, celui qui voudrait fuir le fléau nazi dans un pays où il ne sévit pas.

L’après ?  Les réjouissances, les retrouvailles des séparés… la solitude de Rieux… et la conscience des menaces… à venir.

Bénédicte Goussault

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