Culture.

PArce qu’on ne peut pas s’émanciper sans aile !


Théâtre : Ré-inventer la décentralisation ?

La logique de développement régulier du secteur culturel, notamment à partir de 81, a construit, pas à pas, une décentralisation par palier, notamment dans le spectacle vivant. Même si des exceptions existent, c’est bien l’État, accompagné par les collectivités locales, qui a structuré puis labellisé des équipements (plus que des équipes). L’expérience du Centre Dramatique des Villages du Haut Vaucluse est une tentative inclassable qui remet les artistes au coeur des projets.

Les Centres Dramatiques Nationaux (CDN) se cherchent un second souffle. Initialement construits pour être portés par des “troupes”, ils sont devenus peu à peu des “équipements” pilotés par “un-e” artiste (souvent un-e metteur-se en scène). Les Scènes Nationales (SN), animés par des directeur-trice non-artiste, deviennent presque des doubles inversés des CDN. Le discours majoritaire du moment affirme : “les artistes doivent se consacrer à leur art, chacun son métier !”. On note même une difficulté pour les CDN de recruter des artistes-directeurs/trices. Leur indépendance et la souplesse des fonctionnements en compagnie sont pour les artistes des richesses à protéger et les maisons communes que sont les CDN ne font pas toujours réver.

Cette tendance, articulée à la multiplication de lieux de programmation de qualité (scènes conventionnées, théâtres municipaux…) a fait émerger une nouvelle profession : le programmateur. Aux artistes les créations, aux programmateurs leur diffusion. La réalité étant bien entendu plus complexe, on pourra simplement s’interroger sur cette “liberté de création” qui repose sur des techniciens de la culture ?

C’est dans ce contexte qu’est apparu, à la rentrée, un OVNI de la décentralisation un “Centre Dramatique des Villages du Haut Vaucluse (CDDV)”. Parrainé par Robin Renucci (lui-même directeur de CDN) et porté par la fusion de 2 structures, une compagnie de théâtre, Eclats de scènes, qui crée et programme depuis des années dans les villages du Vaucluse (animé par Frédéric Richaud) et un festival, les Nuits de l’Enclave basé à Valréas dirigé par le metteur en scène Gilbert Barba, le CDDV n’est pas encore un label mais déjà une invention salutaire. La permanence artistique sur un territoire est un incontournable pour que le théâtre devienne une pratique populaire et quotidienne. Le CDDV habite la ruralité en itinérance de villages en villages. Qui mieux que les artistes pour mailler, avec les multiples partenaires, un art transmission, un art émancipation ? Qui mieux que les artistes pour trouver les paroles poétiques qui “dé-territorialisent” le réel et libèrent l’imaginaire ?

Pour tisser un territoire de pratiques artistiques, il faudra laisser les clefs à des poètes, des clowns, des saltimbanques, qui, sans peur face à leur propre précarité, sauront mettre des mots sur nos maux. Finalement, cette nouvelle décentralisation culturelle sera peut être une recentralisation de l’art.

Laurent Eyraud-Chaume
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