Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Les échelles territoriales ne sont pas des niveaux

Dossier “Territoires et alternatives démocratiques”

L’organisation actuelle des territoires masque la mise en place de nouveaux pouvoirs  plus  difficiles à identifier et de plus en plus à l’abri des exigences des citoyens…” (lire ici la suite du Prologue au dossier “Territoires et alternatives démocratiques”)

La hiérarchie verticale hante les territoires, leurs organisations et les pouvoirs qui les régissent, obérant depuis longtemps déjà la possibilité de leur maîtrise démocratique.

De plus en plus nos vies et activités quotidiennes se déploient et sont affectées par des échelles multiples du local au global. La condition spatiale de chacune et de chacun est donc non seulement pluriscalaire, mais omniscalaire ! Chaque échelle est toujours à la fois une réalité en soi, un composé d’échelles plus petites, et une composante d’échelles plus grandes, mais personne ne vit une globalité globalement ! Une métropole, un département, une région, une nation, un continent, ou le monde sont toujours vécus à partir d’un lieu donné. C’est la spécificité irréductible du local et son asymétrie radicale avec le global. Si le monde est l’échelle qui contient toutes les échelles, le local c’est l’échelle où s’exercent toutes les autres échelles, et celle à partir de laquelle on peut se déployer à toutes les autres.

Privilégier la commune n’est pas s’enfermer dans le localisme !

Ce local ce sont les communes, qui peuvent être considérées comme les atomes de base à partir desquels on peut constituer toutes les molécules territoriales les plus complexes. « L’universel c’est le local moins les murs » dit le poète M. Torga. Privilégier la commune n’est pas s’enfermer dans le localisme ! D’autant plus que d’un pays à l’autre la structure territoriale varie, et les communes (ou équivalents) n’ont pas nécessairement la même dimension ! La France compte 36000 communes, soit autant que l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie réunies ! Au contraire d’une vision simplificatrice cela n’en fait pas ipso facto un pays plus démocratique ! Et d’un système politique à un autre la hiérarchie territoriale toujours empreint de verticalité est modulée différemment. Mais cet empilement de la gestion des échelles procède toujours de deux sources distinctes aux effets conjugués :

  • Une logique de représentation : il a toujours fallu « prendre de la hauteur » pour considérer un territoire plus vaste, donnant lieu à toutes les représentations cartographiques. Or, aucune carte n’est le territoire, mais une construction mentale !
  • Une logique de pouvoir pyramidal : où le pouvoir politique descendant a été forgé à l’image d’un pouvoir ecclésiastique ascendant. Schéma qui a structuré par-delà toutes les évolutions et révolutions toutes les politiques jusqu’à nos jours.

Cette logique a posé l’État au sommet, donnant parfois un sommet à l’état lui-même, et imposé un fonctionnement étatique à toutes les niveaux jusqu’aux communes !

Déconsidérer les échelles du territoire comme niveaux de pouvoir s’éloignant et s’opacifiant au fur et à mesure, c’est à la fois démystifier l’étatisme, et déjouer les pièges de la proximité comme seule maîtrise démocratique possible, à la grande joie du néolibéralisme. Déconstruire la fable idéologique du mille-feuille institutionnel oblige à rejeter tout statut quo et toute nostalgie, car aucun schème territorial n’a été réellement démocratique. Élaborer une vision nouvelle et coextensive des échelles préservant à la fois découpages et continuités des territoires relève d’un redoutable défi sans précédent et invite à une véritable décolonisation de nos imaginaires politiques. Exemple : le passage d’une échelle à une autre ne relève pas d’un agrandissement ou d’une réduction, mais d’un changement qualitatif parfois profond, de par la réalité physique du territoire lui-même, ses aménagements et fonctions, ses interrelations et voisinages, la pluralité des habitants…

Quelles que soient les futures échelles territoriales, on peut néanmoins leur imaginer quelques caractères fondamentaux : penser le territoire comme un assemblage d’échelles à repenser ; la nécessité d’assemblées démocratiques dépassant la représentation comme mode de fabrique solidaire du commun, la nécessité de compétences générales et partagées incitant à la coopération avec les autres échelles, et des modes de décision assurant une démocratie à la fois continue et transversale facteur et vecteur d’un co-développement !

Makan Rafatdjou
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