Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Fin du monde, fin du mois, même combat [Table ronde]

Sur terre, notre relation d’humains à notre environnement est liée à l’exigence qui est la nôtre de produire notre vie en puisant dans notre environnement. Cette capture qui va de la pierre taillée à la production désormais mortifère de Co2 s’effectue aujourd’hui selon le mode capitaliste. Mais voilà la terre brûle, la crise écologique planétaire, nous y sommes. Les perturbations climatiques sont palpables ; accumulation de gaz carbonique, élévation des températures, fonte des glaciers, disparitions accélérées d’espèces animales… Aucune des prévisions des chercheurs n’est infirmée par l’expérience sensible des habitants. Il est même acquis que notre environnement  est entré dans un état de crise tel que la présence humaine au monde est en péril. C’est la  relation des humains entre eux et avec leur environnement qui fait société. (Tous les articles du dossier sont ici !)

  • Didier Aubé syndicaliste
  • Catherine Destom-Bottin communiste unitaire
  • Alain Lacombe ancien maire de Fosses 95

Cerises, la coopérative : La crise écologique planétaire nous autorise-t-elle à contourner l’exigence de transformation active du mode de production de nos vies, autrement dit de nos sociétés ?

Didier Aubé

Si malheureusement, l’exploitation des travailleurs et des travailleuses semble ne pas connaître de limite (droit du travail, délocalisation des productions vers les pays les moins disant socialement et écologiquement, développement d’un autoritarisme d’État face aux mouvements sociaux…), il en va autrement de l’exploitation des ressources de la planète. Compte tenu des alertes répétées via les rapports du GIEC et les phénomènes météorologiques catastrophiques dont l’intensité s’accroît d’année en année, il faut se rendre à l’évidence, il y a urgence à changer de paradigme. Nos modes de production et de consommation, l’organisation de la vie sociale, tout doit être repensé dans le respect des individus et du milieu dans lequel ils vivent.


Alain Lacombe

« L’écologie, c’est la science ayant pour objet les relations entre les êtres vivants (animaux, végétaux, micro-organismes) avec leur environnement ainsi que les autres êtres vivants (dictionnaire Larousse) ». Et c’est cette relation des humains entre eux et avec leur environnement, qui fait société, d’autant plus que nous sommes à la fois partie intégrante de la nature et devenus capables d’en modifier l’évolution, pour le meilleur et pour le pire…

L’exploitation du travailleur et de la nature relèvent de la même logique productiviste.

L’écologie ne peut donc continuer à être considérée comme une préoccupation accessoire, ou un supplément d’âme condescendant, mais bien comme un paramètre central pour les choix d’organisation de notre société. Et le social et l’environnemental ne sont pas concurrents mais intimement liés. Le développement capitaliste de la société le montre bien ; l’exploitation du travailleur et de la nature relèvent de la même logique productiviste.


Catherine Destom-Bottin

Si ce n’est quelque dipolodocus politicus, plus personne ne met en doute que le développement furieux de la production et l’exploitation hors limite des ressources de la planète depuis le début de « l’ère industrielle », menace le maintien d’une vie vivable sur terre. De surcroît, en même temps que les périls se multiplient, cette accélération de la possibilité du pire rend plus palpable la responsabilité du capitalisme. En effet l’extension sans partage de ce mode de production à l’ensemble de la planète monde fait du capitalisme, fait de la façon capitaliste de vivre et travailler le coupable évident de l’état de la terre. 

Le capitalisme vert ne séduit plus.

Pour autant si l’anticapitalisme est un positionnement mieux partagé qu’au siècle dernier les luttes n’ont pas le nombre et l’intensité  apte à lui faire la peau. A contrario si le capitalisme vert ne séduit plus guère que Yannick Jadot,  Yannick Jadot lui séduit 13% des électeurs. Autrement dit, ce qui est en panne c’est la capacité populaire à penser un monde sans capitalisme. Cette panne a ses explications. La précarisation fabrique la peur, tétanise les salariés dans leur capacité à penser la production et les conditions de la production. 40 années d’échec des luttes pour l’emploi, 40 années de lent délitement des forces de transformation ont ancré le sentiment que le changement n’est pas de ce monde, donc  sortir du capitalisme n’est pas imaginable.

Alors, que faire ?  Chacun, chacune peut choisir dans sa vie, dans ses combats, dans son syndicat, dans les orientations de son ou ses  associations ce qui n’est déjà plus de l’ordre de la logique capitaliste. Chacun chacune peut agir pour arracher, dans sa commune, partout où il ou elle fait société, de la démocratie pour contredire les choix qui brisent le commun, l’égalité, l’humanité… Et, « en même temps »  il faudra faire converger, se fédérer ce bouillonnement dont les gilets jaunes donnent un avant goût.

Cerises, la coopérative : Les scénarios de maintien du mode capitaliste pour  faire société sont-ils pertinents quant à la crise écologique ?

Catherine Destom-Bottin

Le capitalisme a déjà fait la preuve qu’il sait produire et reproduire de la « nature ». D’ailleurs il le fait depuis sa naissance. Marx définit l’esclavage et la conquête de l’Amérique comme le moment de l’accumulation primitive.  Ce moment est le temps d’une crise écologique majeur dans les îles actuellement françaises d’Amérique. La colonisation a créé sur les îles des Caraïbes une nouvelle nature. La Martinique et la Guadeloupe ne sont pas des terres à cannes à sucre ou à bananes à priori .

Pour que les colons « habitent » ces terres, et y produisent la puissance du royaume de France puis de la République, il a fallu imposer à ces territoires à la fois un génocide et un écocide gigantesques. Le génocide des populations indiennes s’est  mené tout à la fois manu militari et « grâce » aux conséquences d’un tsunami écologique conduit en vue d’installer les plantations de canne à sucre. Le colonisateur s’est en effet livré un défrichage titanesque, anéantissant la totalité de la couverture forestière cassant par là même tous les écosystèmes et brisant dans un temps record l’usage de la terre à la fois mesuré et sans propriété des Indiens ainsi qu’on nomme depuis lors les populations des îles des Caraïbes.

Nous avons par le menu, dans les archives, la description de l’extraordinaire capacité du capitalisme à mettre en œuvre des forces telles que son développement s’impose. Je ne vois pas pourquoi ce mode de production bien plus puissant aujourd’hui qu’il ne l’était au XVIe siècle ne serait pas capable de déclencher, au prix qu’elles coûteront, les forces nécessaires à sa survie voire à de nouveaux développements. Donc oui du point de vue de la classe capitaliste ces scénarios sont pertinents. Du point de vue des producteurs de la valeur ces scénarios ne sont pas pertinents car ils supposent une exploitation considérablement accrue avec les moyens de coercition et de violence dont nous avons déjà quelques préfigurations.


Didier Aubé

Le capitalisme a construit la société que nous connaissons en s’appuyant sur l’essor de la « révolution » industrielle par le pillage des ressources grâce au colonialisme. Depuis les années 80, il prend les traits du néolibéralisme opérant la financiarisation de l’économie en donnant le pouvoir aux multinationales et aux marchés financiers.

Le capitalisme, raisonnant à court terme n’est pas en mesure d’inverser les bouleversements qui s’annoncent.

En deux siècles, il a engendré des guerres à l’échelle mondiale et un accroissement, exponentiel ces dernières années, des inégalités. Face aux dérèglements climatiques, le capitalisme tente une nouvelle fois de s’adapter, c’est sa seule qualité ! Sa foi en la technoscience amène des apprentis sorciers à proposer avec la géo-ingénierie, l’ensemencement de l’atmosphère pour absorber les rayons du soleil sans pouvoir en contrôler les effets. En France, le lobby du nucléaire met en avant l’avenir de cette énergie décarbonée. Il favorise des dispositifs financiers comme le marché carbone, en réalité un droit à polluer, en compensation des désordres planétaires dont il est responsable. Mais la situation écologique de la planète est telle que l’équilibre fragile, façonné au cours de millions d’années, est remis en question y compris pour l’espèce humaine. Le capitalisme, raisonnant à court terme n’est pas en mesure d’inverser les bouleversements qui s’annoncent.


Alain Lacombe

L’examen des comptes de résultats des entreprises, antérieurement appelés fort justement comptes d’exploitation, le montre bien ; c’est par la transformation des ressources naturelles, des matières premières, mue par  l’utilisation de l’énergie et le travail des salariés que se construit le profit et l’accumulation capitaliste. Et comme la règle naturelle du capitalisme, même peint en vert, est la rémunération maximum, et la plus rapide possible du capital investi, la surexploitation, et des ressources naturelles, et des travailleurs, s’accélère. Cela d’autant plus que le but n’est plus de produire des biens et des services  pour subvenir à nos besoins, mais l’accumulation financière.

Cet «  accélérationisme exponentiel », exacerbé par l’idéologie de la mise en concurrence, a des conséquences de plus en plus graves sur le plan social et environnemental, le milieu naturel comme les travailleurs s’épuisent, avec l’exclusion sociale de ceux qui ne peuvent pas suivre,  les déchets qui s’accumulent, le gaspillage, les guerres, les violences…

On ne peut  pas envisager de stopper cette fuite  en avant mortifère sans remise en cause radical du mode de production capitaliste, sans poser la question de l’exigence de transformation  de l’activité humaine et de sa finalité.

Cerises, la coopérative : Peut-on commencer de construire les essentiels d’une société-monde amoureuse des humains et de leur planète ? N’est-il pas temps de dégager de chaque combat les dimensions systémiques écologiques, sociales et démocratique dont il est porteur

Catherine Destom-Bottin

Faisons parler le  « rahui »  une pratique propre à l’ensemble du triangle polynésien. Le rahui en Polynésie, était avant la colonisation, de l’ordre de la prohibition, la restriction quand à l’usage de terres, au prélèvement de fruits, d’animaux. Le rahui, notion structurante de la société, met en intime relation  le pouvoir politique et le sacré. Le rahui était une décision politique à l’apanage d’un clan, d’une famille au sens large. Une portion de terre était  proclamée rahui pour avoir été le lieu d’un décès ou parce que tel Arii ou groupe d’Arii (nobles chefs de clan) manifestaient ainsi  leur pouvoir.

Les règles coloniales imposées à Tahiti comportaient  l’interdiction du recours aux institutions anciennes  contradictoires au déploiement colonial, à l’action des missions protestantes puis catholiques, qui furent et demeurent, particulièrement à Tahiti, des dispositifs majeurs du processus de colonisation. Renouveau identitaire et culturel, les communautés locales Polynésiennes se réapproprient  des institutions anciennes comme mode de gouvernance de leur territoire.

Ainsi en  Polynésie française (PF) , les habitants de Rapa, et de Maiao  sont les premiers à rétablir un rahui restreignant ampleur et durée de pêche, sur une partie de leur île. Les résultats écologiques sont positifs : préservation de la biodiversité marine enclenchée,  augmentation de la biomasse et de la richesse intra-spécifique de poissons. À Teahupoo, le rahui est en place depuis 2013 après trois ans de concertation, naît un rahui de 700 hectares, qui vise la préservation de la biodiversité. Coraux et poissons y trouvent à Teahipoo un espace-sanctuaire, pour grandir, à l’abri des prédateurs. Le CRIOBE (Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement) confirme ces observations et témoigne d’ une forte augmentation de la biomasse et des quantités de poissons  à l’intérieur des rahui. C’est d’autant plus remarquable que, jusqu’à présent, les codes des pêches, de l’environnement et de l’aménagement, visant à protéger la biodiversité terrestre et marine, n’ont eu dans la pratique que des effets très  limités.

Le rahui est de fait la mise en œuvre d’un pouvoir politique à une échelle locale par une assemblée autonome du pouvoir étatique et des religions judéo-chrétiennes  qui occupent l’espace spirituel polynésien. Une manifestation protestante annuelle célèbre l’arrivée de l’évangile en PF autrement dit le début de la colonisation  (5 mars 1797). La cérémonie se déroule en présence du président de la PF et du Haut Commissaire représentant de l’État français en  PF.

L’État polynésien tente d’imposer son ordre juridique aux rahui locaux. Mais les principes du rahui  ne s’emboîtent pas dans les logiques administratives et juridiques de PF. Ainsi pour gérer un espace en fonction des calendriers lunaires et du contexte,  le rahui  implique le concours des ancêtres les tupuna, des tahu’a, littéralement les experts, des tauta, experts de la pêche, des ra’au experts des soins traditionnels, des hiroa tumu experts de la culture et des généalogies. Des cérémonies sont organisées pour prélever temporairement des poissons en vue d’un partage au sein de la communauté, pour réaffirmer le rôle primordial du rahui à maintenir l’équité et à favoriser le partage. Les rahui qui fonctionnent soit  hybrident pratiques  juridiques à l’occidentale et traditionnelles, ou bien en dehors de tout contrôle étatique.

Les pêcheurs polynésiens mènent un combat aux dimensions systémiques écologiques, sociales et démocratiques manifestes.


Alain Lacombe

Le développement de la démocratie, en particulier la démocratie économique avec la remise en cause du pouvoir des actionnaires, me semble incontournable si l’on veut substituer aux logiques productivistes, une organisation de la société  permettant d’optimiser, par l’innovation notamment, l’organisation de la société en fonction d’une finalité sociale supportable.

En fait,  chacun de nos combats pourrait être marqué par cette triple urgence : environnementale, sociale et démocratique. Et c’est maintenant que ça se passe. Depuis le Larzac, avec Notre-Dame-des-Landes, avec Fralib, les SCOP, les gilets jaunes, les manifestations des lycéens etc…  On voit bien qu’il est possible pour le peuple de contester le pouvoir des actionnaires, par des luttes concrètes, y compris en faisant valoir le devoir de désobéissance civique. L’exemple du combat  mené par le CPTG (collectif pour le triangle de Gonesse) montre que l’on peut  mettre en échec, et c’est bien parti,  le projet Europa City de la famille Mulliez (Auchan), une des plus grosses fortunes.

Ce projet pharaonique rassemble tous les ingrédients du productivisme avec l’urbanisation de terres agricoles parmi les meilleures pour créer un temple du consumérisme délirant.

Mais le CPTG ne se contente pas de s’opposer ; avec CARMA, il fait des propositions alternatives  à partir d’une approche radicalement différente de l’aménagement du territoire en présentant un projet  économique viable, optimisant les potentialités du site tout en respectant les équilibres naturels et la qualité de vie des habitants et des travailleurs. Oui c’est possible mais pas encore gagné.

On le voit, ça bouge, des initiatives locales intéressantes se développent et font avancer les prises de conscience mais,  pour répondre aux urgences, ne faudrait-il pas que cela débouche rapidement sur des perspectives politiques globales ?


Didier Aubé

Commençons par inverser le rapport à la nature. Il n’est plus possible de la considérer comme l’environnement qui nous entoure, de penser que l’Homme est capable de la dominer et qu’il est le maillon central et le plus élevé de l’évolution comme si celle-ci était linéaire.

La nature n’est pas un espace de compétition où seuls les plus forts s’en sortent comme l’a interprété le darwinisme social. De nombreuses recherches montrent que la solidarité et la coopération entre les espèces ont permis leur développement au sein d’un milieu en constante évolution.

Commençons par inverser le rapport à la nature.

A ces conditions, il est possible de s’inspirer de la nature pour penser l’organisation sociale de la planète. En partant des besoins vitaux, construire une société basée sur la solidarité et la coopération, c’est repenser le rapport au travail, l’organisation de la ville, des lieux et des modes de décisions, les liens sociaux, les rapports de genre.

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