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Démocratie et organisations

Après une première rencontre sur la question des aspirations à la démocratie et une séance d’approfondissement interrogeant les possibilités de son exercice dans des espaces géographiques de grande échelle, la réflexion s’est prolongée le samedi 11 mai 2019 lors d’une journée intitulée « Démocratie et organisations ».

Synthèse par Lydia Martins Viana

L’exercice est délicat et périlleux. Comment rendre pleinement compte en quelques malheureux signes de la richesse des réflexions menées toute une journée durant par vingt-cinq participants autour de questions aussi importantes que l’acquisition du pouvoir d’intervention ; les droits humains fondamentaux ; l’articulation aspirations individuelles et agir collectif ; l’écriture de la loi ; les rapports entre dissensus et consensus ; la conception et la place des organisations révolutionnaires…

Face à l’impossibilité de la tâche, essayons modestement de retenir quelques idées clés.

L’enjeu d’une culture commune

Un enjeu central semble émerger au cœur de tous les autres : l’impérieuse et même l’absolue nécessité de travailler aux conditions d’émergence d’une culture commune. Les interventions qui n’ont eu de cesse d’osciller entre des références historiques considérées incontournables et une actualité, principalement marquée par le mouvement des gilets jaunes, ont toutes pointées à leur manière cette exigence. La journée fournit quelques ingrédients constitutifs de cette culture.

– L’importance de l’utopie, non pas comme perspective d’une société idéale, mais comme cap pour donner un sens unificateur à des aspirations et approches nécessairement multiples. L’enjeu ici est de transformer un désir intime en une réalité sociale tangible qui permette à la fois une représentation individuelle des désirs communs et une représentation collective des désirs individuels.

– L’exigence de remettre au cœur de l’organisation sociale les droits humains fondamentaux historiques, en les actualisant à l’aune des problématiques et enjeux d’aujourd’hui. Une dynamique des droits conçue comme ouvrant la voie à une dynamique de transformation sociale.

– La réaffirmation de principes politiques, économiques, sociaux, culturels communs, comme fils conducteurs des luttes pour l’émancipation collective. Des principes qui ne devraient pas faire simplement office de préambule à des textes, mais être pleinement intégrés dans des articles de loi.

– La nécessité d’une démocratie vivante, autogestionnaire, comme but, chemin et culture : aucune loi ne peut être pleinement effective sans reconnaitre à des collectifs de personnes directement concernées le droit à l’information, à l’intervention et au contrôle pour qu’ils et elles s’assurent des études, des options, des discussions publiques, et de l’application des décisions.

– L’arrachement à la norme comme condition pour exister, être visible et mener des luttes politiques : « ne pas produire seulement de l’empathie, mais aussi de l’adversité. »

– L’école et l’éducation populaire comme espaces de formation à la capacité d’intervention citoyenne.

En résumé, au cœur de cette culture commune à bâtir : la perspective d’un dépassement du capitalisme ; des objectifs d’émancipation ; et peut-être un concept qui pourrait s’avérer structurant : l’égaliberté (concept développé par Etienne Balibar).

La fin de la journée a été consacrée à la question de l’organisation : quelle organisation politique pour unifier la lutte ? Une organisation est nécessaire. De quel type, quelle forme, quelle conception, les réponses ne vont pas de soi. Elles sont même partagées. Ce qui apparaît plus spontanément, c’est ce dont l’ensemble des intervenants ne veux plus : une structure dont la finalité se perd et se confond dans l’enjeu même de son existence, éloignant d’elle celles et ceux qui en ont le plus besoin ; ou encore une organisation reproduisant la conception délégataire dominante. L’organisation doit être un outil et non pas une fin. D’autres écueils sont pointés : « l’un des pires risques serait que de possibles mobilisations et exigences se laissent engluer dans un Front dominé par des projets contradictoires et d’intérêts politiciens » ; « il est demandé aux exploités et dominés de faire preuve d’anticonformisme vis-à-vis de la société et au nom de l’efficacité, il leur est demandé de se plier à une autre mise en conformité dans l’organisation, la dépossession de chacun paraissant garantir l’intérêt collectif et la démocratie »

Travailler le rapport entre le Je et le Nous, comme cela a été fait au cours de la matinée, permet d’appréhender autrement les rapports des individus aux organisations. « La politique ne consiste pas à transmettre mais à favoriser la construction par les intéressés de leur propre transformation », cette affirmation est largement partagée. La fonction de l’organisation n’est en effet pas de se substituer aux individus qui seraient par nature défaillants. Elle consiste, en soumettant des repères, en permettant des expérimentations, en formulant des propositions, à permettre à chacune et chacun de prendre part à tous les moments de la production politique, pour, toutes et tous ensemble devenir force politique. Autrement dit, comme cela a été dit, le choix pour s’organiser ne se situe pas entre spontanéité ou centralisme, il est mutualisation d’individus responsables et libres de leurs initiatives.

L’organisation : un outil et non une fin

Cette conception engendrera inéluctablement son flot de divergences, qui devrait être appréhendé non comme un frein mais comme un stimulateur, un moteur de recherche.

Sur la forme concrète de cet espace politique, les avis sont multiples : disons-le tout de même, la forme parti n’a pas la côte. Il est d’ailleurs rappelé que la Première Internationale mêlait sans problème partis, syndicats, associations et même une fanfare et une entreprise de pompes funèbres, tous sur un pied d’égalité quant à la participation. « C’est après l’écrasement de la Commune et en confondant écrasement et échec, que la Seconde Internationale a considéré que l’on ne mélangerait plus les serviettes avec les torchons, que le mouvement ouvrier s’est éloigné des postures subversives, a dissocié social et politique en glissant vers le « prise » du pouvoir d’Etat. »

Pour aller plus loin, certains évoquent la notion de « fédérés » en pensant à la multiplicité de structures locales ou d’entreprises, qui pourraient fonctionner à leur gré, mais dont les apports seraient mutualisés à des échelles plus grandes ; d’autres pensent à une dialectique de mouvements auto-organisés et de « représentation », couplée à une articulation de luttes ponctuelles et d’organisations permanentes (ayant des fonctionnalités utiles au mouvement social ou au contraire entrant en conflit avec lui) ; d’autres encore font référence au « parti-mouvement » se fondant sur la nécessité d’une organisation politique à même de procéder à l’élaboration d’un projet alternatif généraliste s’enrichissant des apports et contributions des structures syndicales et associatives.

Tous semblent cependant s’accorder sur la pertinence de s’appuyer sur des utopies concrètes, dont la multiplicité des approches et des parcours de celles et ceux qui les portent peut permettre de converger vers la construction d’une culture politique nouvelle.

Mais à l’évidence, tout cela mérite encore du travail et des éclaircissements qu’une réflexion collective autour du texte de Marx Programme de Gotha (1875) pourrait venir judicieusement éclairer, comme cela a été suggéré.

Une manière de prolonger cette journée et de lever les doutes qui se sont exprimées en conclusion sur non pas la pertinence des échanges, mais leur utilité pour dépasser le stade actuel de ce qu’il convient de nommer l’impuissance générale. 

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1 réflexion sur “Démocratie et organisations”

  1. Fort intéressant !…Et si l’on prenait au sérieux la maladie originelle dont souffrent non seulement “les sociétés”, mais aussi “la personne humaine”, comme la “biosphère”, du fait même du logiciel “du Capital” ?
    Alors, pour ma part, j’imagine que l’un des virus les plus offensifs du “système”, il est d’ordre “constitutionnel” : en effet le Capital fonctionne sur le mode “Patronal”, voire historiquement, patriarcal… Or les “Constitutions” en usage ne sont que des répliques du mode “managérial” : et donc, toute démarche “politique” est “SURDETERMINEE” par ce spectre : partis et syndicats, mouvements , et associations sont obligés de trouver leur “leader”, et se battent pour “le leadership”…Même si je reste critique et prudent , les travaux d’Etienne Chouard m’ont servi à réfléchir quant à l’invention d’un “vaccin” anticapitaliste : il s’agit du fonctionnement hybride de “la citoyenneté” : suffrage universel, tirage au sort, et “co-écriture ” d’une Constitution vaccinée”…je le dis avec sérieux mais aussi un certain humour, puisque nous en sommes à ce constat : nous ne serons jamais aussi fous que ne l’est le système qui porte en lui la “fin du monde des humains”.

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