Edito.

L’Humeur de la rédaction.

Citoyens de beauté

Les révolutions, même trahies, même confisquées, laissent derrière elles d’increvables espérances, capables de creuser le lit d’insoupçonnables ruisseaux souterrains. Quand ces eaux-là confluent et rejaillissent, elles sont capables de tout emporter sur leur passage.

La jeunesse algérienne n’a rien oublié des promesses de novembre, de l’horizon de liberté, d’égalité, de démocratie et de justice sociale vers lequel regardaient ses aïeux, ceux qui prirent les armes contre un système colonial charpenté par la négation de l’humanité. Au coude à coude, quatre générations occupent les rues d’Alger, d’Oran, d’Annaba ou d’Adrar, unies par le même rêve algérien. Il ne s’agit pas seulement de chasser le clan d’un président impotent : c’est tout le « système » que les protestataires entendent « dégage », qu’il prenne le visage de vieux généraux autoritaires, arrogants et repus, celui de politiciens corrompus s’exprimant dans une langue morte ou celui d’affairistes véreux, gavés à la dilapidation de la rente pétrolière, aux chantiers démesurés, aux marchés publics truqués. Par millions, les Algériens clament leur exigence de dignité. Ils veulent voir les insolentes richesses du pays mises au service du peuple. Ils veulent bâtir un pays guéri du désir généralisé de fuite, un pays qui ne regarderait plus ses enfants prendre les flots sur des embarcations de fortune, en quête de futur mais promis à une mort presque certaine en Méditerranée. Les défilés ces jours-ci, étaient habités par la mémoire des « harragas », ces désespérés qui brûlent leurs papiers avant de tenter la périlleuse aventure de l’exil…

Tout un peuple s’est levé dans la paix, dans l’allégresse, en toute conscience, tirant les leçons des années noires de guerre intérieure contre les intégristes, instruit des expériences incertaines ou chaotiques des « printemps » voisins. Dans les arcanes d’un pouvoir aussi machiavélique qu’opaque se trament d’obscurs scenarii. Mais quoiqu’il advienne, les Algériennes et les Algériens ont repris voix et leur marche vers une seconde indépendance nous évoque, pour l’heure, ces vers de Jean Sénac : « J’ai vu le peuple le plus beau de la terre / Sourire au fruit et le fruit se donner. »

53767750_269174970666366_994512012534874112_nRosa Moussaoui, journaliste à l’Humanité, 15 mars 2019

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